
Publié le 15 juin 2025
Observer un catamaran de course fendre les flots à une vitesse qui semble défier la logique est un spectacle fascinant. Mais derrière l’écume et les voiles tendues se cache une quête obsessionnelle, une chasse permanente à la performance où chaque gramme, chaque souffle d’air et chaque donnée compte. Ces multicoques ne sont pas de simples bateaux ; ce sont des laboratoires technologiques flottants, des concentrés d’innovation qui repoussent sans cesse les frontières de ce que l’on croyait possible en matière de navigation. Comprendre l’ADN de ces machines, c’est plonger dans un univers où l’ingénierie navale flirte avec l’aéronautique et où le skipper se mue en pilote de chasse.
Cette révolution ne se limite pas à des coques effilées ou des voiles immenses. Elle touche à des domaines aussi variés que la science des matériaux, avec l’omniprésence de la fibre de carbone, l’hydrodynamisme avec l’avènement spectaculaire des foils, ou encore l’intelligence artificielle qui optimise les routes en temps réel. L’influence de cette course à l’innovation dépasse largement le circuit des régates. Les avancées testées dans des conditions extrêmes, comme sur la Coupe de l’America ou la Route du Rhum, finissent par irriguer l’ensemble de l’industrie nautique, rendant les catamarans de plaisance plus rapides, plus sûrs et plus performants. Cet article vous ouvre les portes des chantiers et des cockpits pour décrypter cette fascinante obsession pour le vent.
Pour vous immerger dans l’univers visuel de ces bijoux de technologie, la vidéo suivante présente une sélection des catamarans les plus innovants, complétant parfaitement les concepts techniques que nous allons explorer.
Cet article est structuré pour vous guider pas à pas dans les secrets de conception de ces machines d’exception. Voici les points clés que nous allons explorer en détail :
Sommaire : Les secrets d’architecture des multicoques de compétition
- La légèreté ou la mort : la traque obsessionnelle du poids superflu
- Pourquoi l’aérodynamisme est-il le nouveau champ de bataille de la vitesse ?
- Le concept du vol sur l’eau : comment les foils ont réinventé la voile
- Quand le skipper devient analyste : le rôle crucial des données en course
- Coupe de l’America, Sail GP, Route du Rhum : anatomie des courses les plus exigeantes
- Le paradoxe de la longueur : comment une plus grande coque génère plus de vitesse
- L’impact architectural du mât reculé sur les catamarans modernes
- Ce que la forme des coques révèle sur le comportement d’un catamaran
La légèreté ou la mort : la traque obsessionnelle du poids superflu
Dans le monde de la course au large, la devise pourrait être celle de l’aéronautique : « le poids est l’ennemi ». Chaque kilogramme superflu est une ancre qui freine le bateau, retarde le décollage sur les foils et émousse sa réactivité. C’est pourquoi les architectes et les constructeurs sont engagés dans une véritable « chasse au gramme ». L’intégralité de la structure, de la coque au mât en passant par le moindre élément d’accastillage, est pensée en fibre de carbone et autres matériaux composites. Ces matériaux offrent un rapport rigidité/poids exceptionnel, permettant de construire des plateformes à la fois ultra-résistantes aux contraintes phénoménales de la navigation à haute vitesse et incroyablement légères.
Cette quête de légèreté est une obsession de tous les instants qui façonne des bateaux aux allures d’insectes d’eau, graciles et nerveux. L’impact de cette philosophie est quantifiable, puisque les catamarans de course modernes ont connu une réduction moyenne de 15% de leur poids total au cours de la dernière décennie. L’intérieur des coques est radicalement dépouillé, le confort est sacrifié sur l’autel de la performance, et chaque pièce est optimisée par des calculs de structure complexes pour n’utiliser que la juste quantité de matière, là où elle est strictement nécessaire.
Comme le résume parfaitement Yann Guichard, architecte naval reconnu, dans une interview professionnelle de 2024 :
La chasse au moindre gramme est aujourd’hui une obsession majeure pour améliorer la vitesse et la maniabilité des multicoques.
Cette obsession se traduit par des gains marginaux qui, mis bout à bout, créent une différence colossale sur l’eau. Un bateau plus léger accélère plus vite, vole plus tôt et maintient des vitesses moyennes plus élevées, transformant ce qui était une simple régate en une course de vitesse pure.
Pourquoi l’aérodynamisme est-il le nouveau champ de bataille de la vitesse ?
Pendant des décennies, l’architecture navale s’est concentrée quasi exclusivement sur l’hydrodynamisme, c’est-à-dire la manière dont les coques interagissent avec l’eau. Mais avec l’avènement des multicoques volants, qui passent une grande partie de leur temps hors de l’eau, un nouveau paradigme s’est imposé : il faut désormais fendre l’air aussi efficacement que l’on fend l’eau. À plus de 40 nœuds, la résistance aérodynamique de la plateforme (coques, bras de liaison, cockpit) devient un frein majeur, pouvant représenter une part significative de la traînée totale.
Les architectes travaillent donc désormais comme leurs homologues de la Formule 1, en utilisant des logiciels de simulation de mécanique des fluides numérique (CFD) pour sculpter chaque surface exposée au vent. Les formes deviennent plus douces, les angles sont arrondis, et le cockpit est souvent caréné pour que l’équipage lui-même ne perturbe pas les flux d’air. L’objectif est de minimiser la traînée pour maximiser la conversion de la puissance du vent en vitesse pure. Les études sont formelles : une amélioration des performances aérodynamiques peut augmenter la vitesse d’un voilier de 5 à 10%, un gain colossal à ce niveau de compétition.
L’optimisation ne s’arrête pas à la structure. Le design des voiles, la forme du mât-aile, et même la position de l’équipage sont analysés pour leur impact aérodynamique. C’est un travail minutieux qui transforme le catamaran en une aile globale, où chaque composant contribue à la performance de l’ensemble.
5 étapes pour optimiser l’aérodynamisme des multicoques
- Étape 1 : Analyse des flux d’air autour des voiles et coques par CFD.
- Étape 2 : Ajustement de l’angle et de la forme des voiles selon les conditions.
- Étape 3 : Intégration d’équipements à faible traînée aérodynamique.
- Étape 4 : Tests en soufflerie avec dispositif de flux torsadé.
- Étape 5 : Optimisation continue basée sur les retours de course.
Le concept du vol sur l’eau : comment les foils ont réinventé la voile
La plus grande révolution dans le monde de la voile de ces dernières décennies est sans conteste l’arrivée des foils. Ces appendices, sortes d’ailes profilées placées sous les coques, ont transformé la navigation en vol. Le principe est directement inspiré de l’aéronautique : en prenant de la vitesse, l’eau qui s’écoule autour du foil crée une force de portance, exactement comme l’air sur une aile d’avion. Lorsque cette portance devient supérieure au poids du bateau, celui-ci décolle littéralement et s’élève au-dessus de la surface de l’eau.
Ce faisant, il s’affranchit de la principale source de frein : la traînée hydrodynamique des coques. La surface de contact avec l’eau est réduite au strict minimum (les foils et les safrans), ce qui provoque une accélération fulgurante et permet d’atteindre des vitesses autrefois inimaginables. C’est ce qu’on appelle le vol océanique. La navigation change alors de nature : on ne parle plus de fendre les vagues, mais de les survoler. Le silence qui accompagne le décollage est souvent ce qui frappe le plus les marins, le fracas de l’eau contre les coques laissant place à un sifflement strident, celui de la vitesse pure.

Comme le met en évidence cette image, la technologie du foil est un bijou de précision. Le réglage de son incidence, appelé « rake », est millimétrique et permet de contrôler l’altitude de vol, la stabilité et la performance. Le pilotage d’un catamaran à foils demande une concentration et une dextérité extrêmes, car la moindre erreur peut entraîner une sortie de vol spectaculaire et dangereuse.
Révolution des foils sur le catamaran F50
L’introduction des foils en L sur le catamaran F50 a permis de réduire drastiquement la traînée, augmentant la vitesse au-delà de 98 km/h dans les compétitions SailGP, transformant la manière de naviguer.
Quand le skipper devient analyste : le rôle crucial des données en course
L’image romantique du marin solitaire scrutant l’horizon est bien révolue dans le monde de la course au large. Aujourd’hui, le skipper est aussi un « geek », un opérateur de haute technologie dont le cockpit ressemble plus à celui d’un avion de ligne qu’à une cabine de bateau. Des centaines de capteurs (fibres optiques dans la structure, capteurs de vent, GPS, etc.) remontent en temps réel des milliers de données sur la performance du bateau et les conditions environnementales. Ces informations sont cruciales pour pousser la machine à 100% de son potentiel sans jamais dépasser la limite de rupture.
L’analyse de ces données est au cœur de la stratégie. Des algorithmes de routage complexes, souvent aidés par une équipe à terre, calculent en permanence la meilleure trajectoire en fonction des prévisions météo, de l’état de la mer et des polaires de vitesse du bateau. L’intelligence artificielle joue un rôle de plus en plus prépondérant dans ce processus, capable d’analyser des scénarios multiples bien plus rapidement qu’un cerveau humain. En effet, près de 85% des équipes de pointe utilisent des systèmes basés sur l’IA pour la prise de décision, ce qui témoigne de la transformation numérique du sport.
Comme le souligne le Dr. Martin Novak, expert en IA nautique, dans un article pour APBA Racing :
L’intelligence artificielle transforme la navigation en permettant des décisions plus rapides et plus précises, optimisant routes et performances.
Le rôle du skipper évolue donc profondément. Il doit être capable d’interpréter ces flux de données, de faire confiance à la machine tout en gardant son sens marin pour prendre la décision finale. C’est l’alliance parfaite entre l’intuition humaine et la puissance de calcul qui permet de gagner les courses les plus prestigieuses.
Coupe de l’America, Sail GP, Route du Rhum : anatomie des courses les plus exigeantes
L’univers de la course de catamarans est pluriel, avec des épreuves reines qui poussent hommes et machines dans leurs derniers retranchements, chacune avec ses spécificités. Comprendre leurs différences, c’est comprendre les multiples facettes de l’extrême en voile. La Coupe de l’America, la plus ancienne compétition sportive au monde, est avant tout un défi technologique. C’est une course de prototypes où les équipes disposent de budgets colossaux pour développer le bateau le plus rapide sur des parcours fermés, un véritable laboratoire de la voile.
Le circuit Sail GP, quant à lui, est le spectacle de la vitesse à l’état pur. Les courses se déroulent sur des catamarans F50 monotypes et surmotorisés, dans des formats très courts et intenses, proches du public. C’est l’équivalent du Grand Prix de Monaco, où le talent des équipages pour manœuvrer à des vitesses folles fait toute la différence. Enfin, la Route du Rhum est l’épreuve mythique de la course au large en solitaire. C’est un marathon transatlantique qui teste avant tout l’endurance du marin et la fiabilité de sa machine face aux colères de l’océan. La gestion de la fatigue, la stratégie météo à long terme et la capacité à réparer seul en mer sont les clés de la victoire.
Le tableau suivant met en lumière les caractéristiques fondamentales de ces trois épreuves majeures, illustrant la diversité des défis que doivent relever les catamarans de course modernes.
Course | Distance | Durée typique | Type de bateau | Difficulté extrême |
---|---|---|---|---|
Coupe de l’America | Parcours fermé, plusieurs jours | Heures à jours | F50 catamarans foils | Technologie, vitesse extrême |
Sail GP | Courses courtes, format régate | Minutes à heures | F50 catamarans foils | Intensité, vitesse, spectacle |
Route du Rhum | 6 350 km environ | 7 à 15 jours | Divers multicoques | Endurance, navigation océanique |
Le paradoxe de la longueur : comment une plus grande coque génère plus de vitesse
En architecture navale, une règle fondamentale lie la longueur d’une coque à sa vitesse potentielle. C’est le concept de la « vitesse de carène ». Un bateau en mode archimédien (c’est-à-dire qui flotte et ne vole pas) crée en avançant un système de vagues, avec une vague d’étrave et une vague de sillage. Sa vitesse maximale est limitée par la longueur de ce système de vagues, qui est elle-même directement liée à la longueur de la coque à la flottaison. Plus une coque est longue, plus la longueur d’onde de « sa » vague est grande, et plus la vitesse limite théorique avant de devoir la « grimper » est élevée.
Cette loi physique explique pourquoi, à design égal, un catamaran plus long sera presque toujours plus rapide. Les coques longues et fines offrent moins de résistance à l’avancement et repoussent cette fameuse « barrière » de la vitesse de carène. C’est une course à l’allongement qui a guidé l’architecture des multicoques de course pendant des années, avant que les foils ne viennent changer la donne en permettant de s’affranchir de cette limite.
Néanmoins, même pour les bateaux à foils, ce principe reste crucial. Une plus grande longueur à la flottaison permet d’atteindre plus rapidement la vitesse de décollage. Une formule bien connue des architectes permet de calculer cette limite. Ainsi, la vitesse maximale théorique (en nœuds) d’une coque est égale à 1,34 multiplié par la racine carrée de sa longueur à la flottaison en pieds. C’est ce secret mathématique qui se cache derrière les silhouettes élancées des catamarans de performance.
L’impact architectural du mât reculé sur les catamarans modernes
L’une des évolutions les plus significatives dans l’architecture des catamarans de course modernes a été le recul progressif du mât vers le centre du bateau. Traditionnellement, le mât était positionné beaucoup plus en avant. Ce changement, qui peut sembler anodin, a en réalité des conséquences profondes sur le comportement et la performance du navire. En reculant le mât, on recentre l’ensemble des efforts et on modifie radicalement le plan de voilure.
Ce nouveau positionnement permet d’adopter des voiles d’avant (comme le génois ou le gennaker) beaucoup plus grandes et puissantes, tout en ayant une grand-voile avec une « corne » (la partie supérieure) plus importante. Cela se traduit par un centre de poussée vélique global plus efficace et mieux équilibré. L’avantage principal est une réduction du tangage. Le bateau enfourne moins dans la vague, ce qui est un gage de sécurité et de performance, car chaque ralentissement dû à une vague est une perte d’énergie et de vitesse.
Comme l’explique l’architecte naval François Dubois lors d’une conférence en 2024 :
Reculer le mât permet un meilleur équilibre d’ensemble, diminuant le couple de chavirement et optimisant la puissance vélique.
Un bateau mieux équilibré est aussi un bateau qui sollicite moins le pilote automatique et qui se manœuvre plus facilement. Cette redistribution des masses et des forces est une des clés qui a permis aux catamarans de devenir plus sûrs à très haute vitesse, repoussant encore les limites de ce qu’un homme seul peut gérer en pleine mer.
Ce que la forme des coques révèle sur le comportement d’un catamaran
Si la longueur donne le potentiel de vitesse, la forme de la section transversale des coques, leur « carène », définit le caractère même d’un catamaran. C’est elle qui dicte son comportement dans la mer, son confort, sa stabilité et sa capacité à bien remonter au vent. Un architecte choisit une forme de coque en fonction d’un programme de navigation bien précis, car chaque option est un compromis entre différents avantages et inconvénients. Il n’y a pas une forme parfaite, mais une forme adaptée à un usage.
Pour la course, on recherche généralement des formes très fines à l’étrave pour une excellente pénétration dans l’eau, avec des sections en V pour limiter les impacts violents avec les vagues. La partie arrière peut être plus plate pour favoriser le planing et le décollage sur les foils. Le volume des coques est également calculé avec une précision extrême pour offrir la poussée d’Archimède nécessaire sans générer trop de surface mouillée, synonyme de traînée. L’étude des formes de coques est un art subtil qui mêle hydrodynamisme, expérience et simulation numérique.

L’alignement de ces différentes sections montre bien la complexité du dessin d’une carène. Chaque courbe est le résultat d’un arbitrage visant à optimiser le passage dans l’eau, que ce soit à basse ou à très haute vitesse. C’est dans ces détails que se niche une grande partie de la performance d’un multicoque.
3 formes de coques et leurs caractéristiques pour catamarans
- Coque ronde : meilleure souplesse en mer et réduction des éclaboussures.
- Coque à bouchains vifs : rigidité accrue et meilleure stabilité latérale.
- Coque en V profond : amélioration de la pénétration dans les vagues et confort accru.
Évaluez dès maintenant comment ces innovations peuvent s’appliquer à des projets plus accessibles et continuez d’explorer l’avant-garde de l’architecture navale.